Suzanne Dracius

ATTERRÉE EN PLEINE ASCENSION

Atterrée, en pleine Ascension, que l’on ait pu à la fois parvenir, à une même époque, à un si haut degré d’intelligence artificielle et, dans le même temps, descendre à un tel niveau d’imbécillité virtuelle ou de réelle stupidité, se hisser jusqu’au nec plus ultra du raffinement citadin et en même temps massacrer si sauvagement la nature, atteindre un summum de sophistication avec téléphones et tablettes et sombrer dans les pires abîmes de barbarie, ulcérée que l’on puisse développer autant de moyens de lutte contre le mal, la maladie, et s’abaisser à un tel point de vilenie, de mauvaiseté, concomitamment, s’organiser si efficacement pour combattre la misère et affamer pareillement la terre, horrifiée que l’on puisse être arrivé à un tel degré de technologie, envoyer des fusées dans l’espace, des satellites, et en être arrivé là, en être là, descendre si bas dans l’obscurantisme, se prosterner, se prostrer, se mettre à quatre pattes, se vautrer dans l’archaïsme, l’ignorance et l’ignominie, projeter de retourner marcher sur la lune et en même temps fouler aux pieds les droits de l’Homme, piétiner les droits de la Femme, fabriquer des armes de destruction massive, danser sur le ventre du voisin ou de l’ennemi lointain et interdire l’avortement même en cas de viol, simultanément stimuler au maximum le savoir, porter au sommet l’instruction et se fabriquer des croyances préhistoriques, accroître la connaissance et se façonner des fois immondes, faire preuve d’autant d’humanisme et de bêtise à la fois, donnant libre cours à ses instincts animaux les plus inhumains; épouvantée que l’humain, capable d’une si magistrale lucidité, d’analyses aussi poussées, soit en proie à une telle folie, qu’en mesure de maîtriser quasiment l’universel, l’homme se laisse aller à une pareille démesure et à tant de mesquinerie ; écœurée que les hommes puissent à la fois parcourir les océans et naufrager dans le pire repliement sur soi, exaspérée par toutes ces contradictions et l’incohérence du monde.

Port-Royal, Jeudi de l’Ascension