we make it : Le Géant se regarde dans le Miroir et ne vit rien

« There must be something left after we touch something. »

Le projet est né d’une rencontre. Déménageant nos ateliers respectifs dans la même usine à Crissier (Vaud), par un heureux hasard, Clément est arrivé dans le dans le studio de musique à peine terminé. Nous avons eu une grande discussion autour du film de Raul Ruiz, « L’Hypothèse du tableau volé”. Le film était tout d’une incompréhension et d’un paradoxe total malgré tout il nous sembla directement évident qu’il était le point de départ d’un travail artistique collectif. Très rapidement nous nous sommes consacrés à la reconstruction d’une bande originale, musicale donc, à partir du Film de Ruiz. Puis le projet musical s’intensifiant, de nouvelles rencontres ont eu lieu, et de réelles ambiances et vibrations en sont nées. L’idée de produire un film n’était pas encore à l’ordre du jour, cependant plus le travail musical avançait, plus il était accompagné de réflexions, d’échanges, de références et de questionnements. C’est donc dans cette dynamique que la musique semblait n’être finalement qu’une pièce dans une énigme plus complexe et plus ambitieuse, à l’image du travail de Raul Ruiz.

En effet car tout comme Ruiz apprécie la mise en abîme, il nous paraît essentiel au film de parler de processus artistique, au moyen du processus artistique. Ne venant pas du cinéma mais des arts visuels, ce film représente un prétexte au processus, une porte ouverte à la découverte, à l’expérimentation, et au travail transdisciplinaire. Une sorte d’énigme à résoudre, une énigme d’autant plus palpitante qu’on en possède qu’une compréhension moindre, et dont sa concrétisation nous apparaît aussi nécessaire à l’un qu’à l’autre. Cette nécessité partagée de mener à bien cette énigme, semble être le principal moteur du projet, jusqu’à le rendre tout à fait impératif. Pendant l’écriture du film, nous avons pris conscience que nos pratiques respectives et nos sensibilités au monde, se rejoignent spontanément dans un questionnement des paradoxes, des énigmes, de ses liens et de ses imbrications avec l’erreur, le flou, et les questions de représentation nécessairement sous-jacentes.

Ce film devient donc, pour nous, un espace privilégié où faire exister de manière paradoxale, la définition et l’indéfinition, le rationnel et l’irrationnel, le visible et l’invisible, le vivant et le mort, la vérité et le mensonge, le juste et l’erreur; le tout et le rien.

Nous aimons ne pas savoir, nous aimons d’autant plus lorsque nous ne savons pas que nous ne savons pas, comme il fût bon de ne pas savoir quel était le septième tableau de Ruiz sans chercher à le comprendre. Au travers du film, nous invitons à penser le potentiel de l’incompréhension dans la quête de compréhension. A l’image du MacGuffin, ce film impute au questionnement, et par conséquent au spectateur, le rôle central, en cherchant à montrer une fois de plus la capacité et la puissance qu’ont les questions à faire office de réponses dans la perception de la réalité. Une réalité complexe et hautement paradoxale comme nous le ferait réfléchir Edgar Morin.. C’est dans cette perspective que nous cherchons à élargir de manière extra-ordinaire l’espace de projection du spectateur, afin de susciter des réflexions aussi significatives que différenciées en fonction des subjectivités.

Le contexte doit être définissant mais pas emprisonnant des représentations qu’il accueille et conditionne, c’est pourquoi nous cherchons au maximum à permettre à ce film, au moyen du paradoxe et de la complexité, qu’il puisse être, autonome, laissé à nu, grandissant de beauté au grés de ses lectures et relectures, intuitions et fausses révélations. Car nous croyons que le bon poème est celui qui ne permet aucun déchet de signification, là où tout ce qui le compose ne sont que des fantômes et des fantasmes de sens, ouvrant ainsi la porte à une variété d’interprétations, toutes aussi légitimes les unes que les autres. C’est précisément de quoi il s’agit dans Don’t touch the sculpture, lXX du film. Où l’on découvre une main gantée s’approchant lentement d’une porte pour l’ouvrir, porte dont il est justement question ci-dessus.

“Ceci n’est que la représentation de la représentation d’une représentation”

La mise en abîme que représente le travail de Ruiz, et notre volonté explicitée ci-dessus d’ouvrir l’espace des interprétations et des significations, amène notre film à prolonger un travail sur le simulacre. Nous aimerions, prolonger une recherche du trucage, non pas hollywoodien, mais ceui de l’esprit, là où les pirouettes tiennent plus à des jeux de réflection qu’à des jeux de divertissements, aux trompes l’œil, plus qu’aux effets spéciaux. C’est dans ce sens que nous chercherons à revisiter une esthétique propre à la fin des années 70, de cinéastes comme Ruiz ou Alekan, en faisant appel à des trucages analogiques comme la double lentille, l’usage de prisme et de miroirs, apportant un nouveau niveau de simulacre à la réfraction induite par et pour le film. Nous insistons sur le terme revisiter, car bien inscrits dans notre temps, nous réaliserons notre film de manière numérique. La prise de vue étant réalisée au moyen d’un iphone dernière génération, Il est plutôt question ici de ressusciter un certain type de lumière et de grain, l’usage du Noir et Blanc, et un éventail de trucages analogiques que de se lancer dans la maîtrise de techniques, trop techniques, d’images comme par exemple le développement du 35 ou 16 mm ou le travail de post production numérique. Poursuivant le caractère impératif de ce film, ces choix de réalisations sont réfléchis de manière à faire de nos contraintes les moteurs de la faisabilité du film et de notre emprise vis à vis de celle-ci.

Ceci est vérifiable au-delà de l’image et de ses trucages. En effet la voix off constitue un composé essentiel du simulacre c’est pourquoi notre film ne comporte que deux interlocuteurs, apparaissant en Off, laissant donc nos personnages muets. Ceci revient, d’une part à soutenir les jeux d’esprits dont il est question, et à nouveau de faciliter la réalisation et la production. En effet n’ayant aucune prise son ( excepté les son d’ambiances) à réaliser pendant les scènes, il nous sera possible d’interagir avec les acteurs pendant le tournage, et de réaliser à postériori l’enregistrement des voix off en studio ce qui représente une part du travail maîtrisée par Antoine, qui est producteur et ingénieur son en marge de sa pratique d’artiste. La voix off du film se compose donc d’une conversation parfois explicite parfois non entre d’une part le peintre et d’autre part une voix off. Elle s’organise comme suit: La voix off décrit les choses alors que le peintre les réfléchit. La voix off sert de commentaire comme de fil rouge tout au long du film. Elle est entrecoupée quatre fois par ce que nous appelons “le discours du Peintre”. Le discours tient une place centrale dans notre film, en étant l’endroit où se constitue la réalité, au sens de Foucault, le vrai du faux, le rationnel et l’irrationnel, et tous les paradoxes qui animent notre simulacre. C’est cette capacité du langage qui nous anime, ou contrairement à l’image, le langage crée du flou, des zones d’ombres, des carences que seule l’imagination du spectateur peut combler. En effet, le discours ne montre pas mais fait allusion, (Phrase clefs de la fin de la scène du Dîner) et c’est précisément en cela qu’il représente pour nous l’espace dans lequel nous glisser pour susciter les représentations. Une voix de vérité, mais pas toute la vérité comme dirait Jacques Lacan.

En cherchant à rendre le jeu du simulacre le plus ludique possible, nous avons choisi de représenter plus que des personnages, des concepts. Nous y retrouvons Le collectionneur, Le Guide, La Pensée, La Danse, La Lumière, La Bête et le Peintre, Ils sont tous liés et peuvent aisément s’échanger certains de leurs aspects, c’est pourquoi ils sont tous masqués. Cependant des signes distinctif clairs, comme des différence de costume, et d’acteurices, viennent à faciliter la compréhension du spectateur, l’aspect ludique du simulacre donc. Tous les concepts précités sont tous à la fois convoqués par le peintre, au moment de réaliser une pièce maîtresse. C’est cette convocation qui en est l’objet du film. A ceci s’ajoute des symboles, les masques que portent tous les personnages les amenant dans le même temps à se dissimuler aussi bien qu’à se montrer aux autres, une mystérieuse chevalière que le guide échange contre le coeur du collectionneur, Une danse envoûtante animant de concert, la chorégraphie du peintre et celle du personnage de La Danse, Une flamme dont la lumière semble étrangement protégée, des clefs appartenant non pas à l’hôte mais au dîner lui même. Mais aussi des symboles picturaux, référencés ou créés pour l’occasion comme des tableaux ou tableaux vivants faisant raisonner les personnages et des références mythiques du cinéma et de la musique (voir tableau de la proie / voir RR ou Epilogue du Film).

Sans oublier un des aspect principaux, que nous tendons à oublier en prenant un pas de recul sur notre processus actuel, ou plutôt sur notre mise en abîme de processus, c’est la musique

Le tout composé et composant d’un vaste ensemble de phénomènes d’une part complètement hétérogènes cherchant à faire sens dans l’espace des projections qu’il suscite, mais d’autre part complètement cohérent car assemblé de manière évidente et impérative par nous deux auteurs réalisateurs et producteurs de ce film. Comme dirait Klossowski : C’est la vision qui exige que je dise tout ce qui me donne la vision.

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