AUDREY GUTTMAN – POPPY JONES – YOORA LEE – CHLOÉ WEST

GROUP SHOW À LA GALERIE MIGHELA SHAMA

EXPOSITION: DU 6 MAI AU 25 JUIN 2022

Audrey Guttman – Les Inventions Sauvages – Pigment print on cotton paper 130 x 90 cm, 2022

VERNISSAGE
JEUDI 5 MAI 2022
DE 17 À 20H.

MINUTIAE

Comme par miracle, lorsqu’elles sont regardées sous le prisme du détail, les choses ou les êtres du quotidien se métamorphosent en devenir un « petit important », pour débrider la perception du spectateur. Au-delà du conscient, l’esprit s’envole et vagabonde devant les moitiés de corps vaporeusement entremêlées de Yoora Lee, les découpages d’intérieurs intimes ou les morceaux de fleurs sensuelles de Poppy Jones, les gros plans de mains et pieds crûment entrelacés de Chloe West ou les collages subtils d’Audrey Guttman dénonçant les réalités de notre monde.

Le détail n’est jamais accidentel, jamais anodin, lorsqu’il est sérieusement cadré. Le regardant n’a plus à le chercher dans une fresque immense comme ce divin toucher de genou d’Andrea Mantegna dans la chambre des époux au Palais Ducal de Mantoue qui n’est pas sans rappeler celui des humains rencontrés par Yoora Lee à l’époque contemporaine. Dans la réalité, un détail est parfois accidentel mais dans l’art, l’insignifiance n’existe pas. La scène, la personne, l’objet que l’artiste veut isoler, circonscrire, zoomer vient de sa volonté à provoquer cette « jouissance du détail » si bien décrite par l’historien Daniel Arasse.

Sous leur œil contemporain, cet accrochage s’inscrit dans une tradition qui existe depuis des siècles, tout en lui donnant un nouveau visage. Personne n’a mieux sublimé le détail au XXe siècle, que le peintre romain, Domenico Gnoli, à l’honneur récemment à la Fondation Prada à Milan. Sous son pinceau, une chevelure, une boutonnière, une rayure de cravate devient un sublime auquel, peut-être, on n’aurait jamais prêté attention.

Il fallait relever le défi. Ces quatre artistes l’ont fait, réunies par une même passion du détail, pour certaines sans le savoir. C’est ce lien que la galeriste Mighela Shama a eu l’ingéniosité d’établir entre toutes.

L’artiste Belge Audrey Guttman qui vit et travaille à Paris part d’un détail, comme ce gant de conduite automobile provenant d’une photo publicitaire avalé par la bouche d’une femme ou comme ces doigts au vernis à ongle rouge trouvés dans un Paris Match des années 1950 formant la chevelure d’une femme. Après des études à Sciences Po et une spécialisation dans la poésie italienne, elle est devenue artiste depuis quatre ans et a déjà exposé chez Ketabi Projects (Paris) ou au Hangar Photo Art Center (Bruxelles).

Le message de sa nouvelle série, mêlant collage et tirage pigmentaire sur papier coton, est clair, percutant, cinglant. Depuis toujours, elle amasse les images de livres et magazines dans ses tiroirs. Elle fouille et découpe jusqu’à ce que l’évidence s’impose, parfois tendre, parfois grinçante.

Déconstruire et réassembler des fragments d’images afin de perturber nos connaissances et révéler des parallèles inattendus, tel est le sens du travail de la Coréenne basée à Chicago, Yoora Lee. Elle dévoile des corps et des attitudes, dans une toile comme perçue à travers un écran, par ses filtres bleus et ses stries horizontaux. Nostalgique des moments passés adolescente devant la télévision ou sur internet dans les années 90, l’artiste cherche à recomposer cette bulle dorée d’une époque durant laquelle la Corée du Sud a connu la prospérité économique et vivait pleinement sans se préoccuper de l’avenir. Il flotte une grande mélancolie dans ses cadrages de corps qui s’unissent et se désunissent au gré des angles de vue. Ses scènes intimistes de la vie de tous les jours prennent alors l’aspect de subtils autoportraits.

La Britannique Poppy Jones diplômée du Royal College of Art trouve ses sujets dans son quotidien de la campagne du Sussex. Les objets familiers qui l’entoure nourrissent ses œuvres comme un rideau d’un intérieur traversé par la lumière, une veste baignée dans un océan bleu, ou un bouton de fleur qui éclot de manière très sensuelle. L’artiste part de photographies qu’elle retranscrit sur un support en tissu repeint à l’huile et à l’aquarelle. Elle fait elle-même ses cadres en aluminium. Généralement, elle excelle dans les petits formats. Pour la première fois, elle dépasse cette échelle, avec une œuvre de 40 par 33 cm. Son regard capte la fragilité du quotidien, l’insaisissable de la vie en laissant une empreinte sur le support qui semble déjà patiné par le temps.

Chloe West –Lamentation – Oil on linen 30.5 x 23 cm, 2022

Née à Cheyenne (Wyoming) et basée à St. Louis, Chloe West (diplômée d’un master of fine art à l’Université de Washington à St. Louis en 2017) explore quant à elle le corps et sa relation avec les espaces qu’il habite. Elle peint la carnation des peaux et leurs surfaces dans des instants d’intimités, avec des tons crus qui évoquent leur plénitude ou douleur. Elle tire son répertoire des époques médiévales ou de la Renaissance, en particulier de la peinture hollandaise et flamande. Si bien que ses corps nus sont comme des vanités. Est-ce son propre corps de femme qu’elle peint par fragments?

Dans ces quatre approches, il y a beaucoup de mystère à déchiffrer dans les menus détails…

Texte par Béatrice de Rochebouet, 2022